samedi 17 juillet 2010

HEMSIN

Dans la région d'Artvin, dont fait partie Hopa sur la mer Noire vivent les Hemsinli de l'Est ( on prononce hemchinli ). Comme leurs cousins qui vivent à une centaine de kilomètres vers l'Ouest dans les vallées  du Kachgar, au-dessus de Rize, ils parlent une langue dont l'origine arménienne ne fait aucun doute, même si les principaux intéressés ne s'en doutaient pas. C'est avec la chute de l'Urss que tout s'est dénoué : les hemsinli ont commencé à capter des télévisions et des radios arméniennes et se sont aperçus avec stupéfaction qu'ils comprenaient cette langue. La pilule fut amère pour certains qui se prenaient pour des vrais musulmans turcs. Des explications vaseuses tendant à démontrer que les hemsinlis étaient de vrais turcs et que seul les vicissitudes de l'histoire les avaient conduits à parler arménien furent bricolées en un tour de main. Aujourd'hui il semble qu'une partie de la population a admis qu'elle est d'origine arménienne - nous avons rencontré des hemsinlis qui se présentent spontanément ainsi, parfois avec un petit sourire malicieux. Mais ce n'est pas toujours le cas.
Sevan Nisanyan raconte que lors d'un voyage dans les villages de la région il discutait au café avec des jeunes et leur demandait la traduction en hemsinli de mots turcs. Au bout d'un moment les jeunes ont commencé à être intrigués par le fait que Sevan semblait parler leur langue. Ils lui ont demandé  comment se fait-il que vous parliez hemsinli? Il leur alors répondu que c'était sa langue : l'arménien. Il y eut un silence, l'atmosphère chaleureuse disparut instantanément  pour laisser place à une hostilité grandissante qui risquait de mal tourner sans l'intervention des vieux présents au café qui dispersèrent les jeunes. L'origine de ces arméniens convertis remonte au 16ème siècle,  à l'époque où les peuples d'origine géorgienne ( en majorité dans les villes côtières ) embrassèrent la religion musulmane, contraignant par contre-coup les arméniens de la région à craindre pour leur survie. C'est ainsi que les hemsinlis prirent la décision de devenir eux-mêmes musulmans.

jeudi 15 juillet 2010

HOPA, dernière ville avant la frontière

J'ai toujours été intrigué par Hopa. Comme par tous les terminus. Depuis mon adolescence je l'avais identifié comme la destination la plus lointaine accessible par les lignes maritimes turques sur la Mer Noire juste au pied du "Rideau de Fer". Elle faisait partie des bornes de mon imagination comme la seule bourgade qui avait le privilège d'avoir un port desservi depuis Istanbul, au même titre que Trabzon, Samsun ou Sinop et je n'y étais jamais allé.
Avec la chute de l'Urss puis la fermeture de la frontière turco-arménienne, Hopa a pris une toute autre allure.
Fi du terminus, Hopa est devenu ville de transit.
Le trafic routier des marchandises ne s'arrête jamais en direction de la Géorgie, l'Arménie, l'Azerbaidjan, car c'est quasiment le seul point de passage douanier praticable pour les TIR.
D'autre part, la migration des femmes en provenance des provinces pauvres de l'ex-Urss en vue de trouver du travail dans la prostitution - les natachas - a bouleversé  l'imaginaire et les mœurs des hommes en Turquie en général et particulièrement la région de la Mer Noire, et cela dès la fin de l'empire soviétique. Ces femmes dénuées de préjugés envers la sexualité et en général éduquées, privées de travail après la faillite de l'Urss ont considérablement fait tourner la tête de ces messieurs, habitués au sordide des bordels turcs.
Quoiqu'il en soit à Hopa on n'a pas l'air de s'ennuyer. Les bars, parfois immenses, avec musiciens et chanteuses occupent le dernier étage ou le toit des immeubles du centre commercial (çarsi) et si de jour de la rue on ne voit rien, le soir on entend largement la musique et l'ambiance, ce qui suffit à guider le chaland. Nous y aurions certainement jeté un oeil, si nous n'avions trouvé une soirée dans un local au 5 ème étage qui ne réunissait que des jeunes de la région - garçons et filles - qui s'amusaient avec beaucoup d'entrain en dansant le horon. La chaleur ayant eu raison de nous ( et aussi la sono bien lourde )  nous sommes rentrés à l'hotel. Rien à voir avec le standard de ce genre d'établissement en Turquie : ultra bien tenu. Et avec une désarmante évidence, dans les chambres les chaines pornos sont en accès libre comme pour nous rappeler qu'ici la Turquie n'aurait plus de complexes.